V
ienne, en 1844, les cliniques ne désemplissent pas. Parmi leurs patients, des centaines de femmes fraichement accouchées finissent par mourir quelques jours après la délivrance. Et le nombre de ces décédées a même augmenté depuis quelques temps. Rien de nouveau, argue l’éminent professeur Stein. Les signes ne trompent pas ; la fièvre puerpérale, cette vieille ennemie, a frappé ces malheureuses. Mais cette fatalité fait enrager le docteur Ignác Semmelweis. Il en est certain : ce mal vient de quelque part et il entend en trouver la cause. Malgré les réserves qui lui sont opposées, il enquête sans relâche. Quand il établit enfin un lien, un autre combat s’ouvre : celui pour imposer un protocole d’asepsie que les médecins conservateurs dénigrent.
Navigant entre les genres, Isabelle Bauthian (La vie mystérieuse, insolente et héroïque du Dr James Barry (née Margaret Bulkley), Opportune, Horizons, Don Juan des flot, À la table des empereurs) renoue avec la biographie dessinée à travers un album retraçant l’existence d’Ignác Semmelweis (1818-1865). Si le nom de cet obstétricien hongrois ne parle pas d’emblée à l’individu lambda, il est néanmoins bien connu par le personnel médical et paramédical. Et pour cause : il est parvenu à établir le lien entre la dissection de cadavres dans l’une des cliniques les plus réputées de Vienne et la recrudescence de décès de parturientes liés à la fièvre puerpérale. Bref, bien que le docteur ne l’ait pas formulé ainsi, il a ouvert la voie vers la théorie microbienne et imposé un modèle prophylactique.
Le portrait dressé par Isabelle Bauthian est vivant, nuancé et reflète toutes les difficultés traversées par son personnage. Les origines hongroises de ce dernier moquées, ses découvertes et expériences soulevant la colère de ses pairs, son existence et sa pratique sont loin d’être un long fleuve tranquille. Très vite, le lecteur s’attache à ce passionné qui se donne tout entier à son art et se sent investi d’une mission : sauver les femmes. Le praticien apparaît aussi savant, patient et méticuleux – dans ses investigations et avec les patientes – qu’un brin naïf – il se refuse à publier et récolter les lauriers de prime abord - et, par moments, colérique – quand il comprend que certains médecins négligent l’asepsie qu’il recommande. Pris dans la réalité sociale et politique de son époque, Semmelweis a une marge de manœuvre étroite, malgré le soutien de personnalités réformatrices éminentes et il subit le sort de ceux qui tentent d’avertir sans être entendus par les pontes et leurs suiveurs marinant dans le conservatisme. Pour mieux le souligner, l’autrice invite la légendaire prophétesse Cassandre. La métaphore est filée jusqu’au bout et prend une dimension tragique dans le dernier quart de l’album évoquant les dernières années du gynécologue et hygiéniste. En quelques pages, la descente aux enfers finale de celui-ci ne manque pas de prendre aux tripes.
Chargée des illustrations et des couleurs, Eva Rosseti se démarque par un coup de crayon au rendu griffonné. Pour autant, les différents acteurs sont bien caractérisés et expressifs. Dans des décors plutôt minimalistes, la dessinatrice va à l’essentiel, marquant surtout les attitudes et les émotions. Dans les scènes plus verbeuses, elle parvient par un découpage adroit et une mise en page adroite à éviter toute pesanteur.
Bande dessinée biographique solidement menée, Semmelweis. Le médecin des femmes propose une plongée des plus intéressantes dans la vie et le combat d’un précurseur de l’asepsie. À découvrir.
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