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ésirer et être désirée. Goûter au fruit interdit. Renouveler l’expérience, avec le même amant ou non. Construire sa sexualité, l’assumer entièrement et sans honte, clamer « aimer çà ». Oui, mais voilà, d’où cette première envie a-t-elle jailli ? Les aventures se sont succédées ; quelques années de stabilité se sont même installées pour finalement se défiler. Alors qu'une longue relation vient de s’abîmer sans retour, il est temps de se questionner. La Venise qui devait être le cadre d’une escapade en amoureux devient le chemin mouvant d’une quête personnelle.
Dans Une obsession, Nine Antico (Madones et putains) ouvre une page introspective qui remonte à son enfance et explore les recoins les plus cachés des relations intimes qui ont jalonné son existence jusqu’à sa récente séparation avec son compagnon. Pour ce voyage intérieur et dans le passé, les canaux de la cité lacustre offrent un terrain propice que les masques de carnaval et l’ombre de Casanova hantent. L’autrice/narratrice ne se dépare d’ailleurs jamais de ce loup qui dissimule ses traits et ceux des personnages. De plus, hormis certaines femmes, les intervenants ne sont connus que par l’initiale de leur prénom, quand il y en a une.
Installée à bord d’une gondole, au fil de l'eau, les souvenirs affleurent, désordonnés. Un âge est lancé, une scène de baiser, une main qui effleure, un bras qui enserre, une drague peu subtile sont posés. Quelques moments plus périlleux sont évoqués, comme lorsque cet inconnu cherche à attirer la jeune ingénue chez lui. Puis survient un incident, suivi d’une interrogation, talonné par une réalité, crue, sans appel. Sans le nommer, la bédéaste l’expose et, quoique victime, sa façon de présenter l’événement la place presqu’en incitatrice, ce qu’évidemment, elle n’est pas. L’abus sexuel, puisque c’en est un, est suivi d’autres agressions non consenties. Incidemment, tout cela conditionne l’adolescente puis la femme dans la vision qu’elle a de la sexualité et de comment elle la vit. Nine Antico poursuit en abordant l’apprentissage de son propre corps, une fois ses sens éveillés, sa recherche de la jouissance, le recours à la pornographie et aux vibromasseurs pour atteindre l’extase orgasmique.
Les déambulations se font dans des planches où le dessin en noir et blanc habite l’espace de cases larges, parfois libérées de leur contour. Les cadrages mettent les corps à nu, s’attardent sur des fessiers, des bouches, des membres. Sans être absente, la sensualité prend une teinte singulière ; les actes ont quelque chose de clinique et peuvent déranger, notamment lorsque sont représentés des attouchements non sollicités. Enfin, les chapitres sont ponctués de citations sur Venise, soulignant la juxtaposition d’une inclinaison libertine et du jugement sans concession contre la dame de « petite vertu ».
En explorant sa psyché et ses failles, Nine Antico livre avec Une Obsession un album à la fois marquant et déstabilisant, en ce qu'il montre sans artifice l'appropriation de la sexualité en dépit des diktats sociétaux et d'un vécu difficile. Il constitue également un témoignage important de toutes les violences, même la plus infime, qui peuvent être subies dans la sphère intime.
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