G
en Nakaoka grandit dans un Japon en guerre. Les conditions de vie se dégradent un peu plus chaque jour. La défaite semble inéluctable, même si aborder ce sujet reste tabou. Les fanatiques et les profiteurs continuent d'appliquer aveuglément les décisions iniques dictées par le gouvernement. Les autres ont peur de parler. Ceux qui bravent l'interdiction, comme le père de Gen, en subissent les conséquences. Pour avoir ouvertement critiqué la situation et appelé à la fin du conflit, il est désormais considéré comme un traître et toute sa famille en pâtit, poussant son fils aîné à se porter volontaire pour devenir kamikaze, espérant laver l'honneur de son nom.
Le printemps tire à sa fin et l'été va bientôt s'installer sur Hiroshima, jusqu'à ce jour funeste du cinq août...
Gen aux pieds nus est l'œuvre de la vie de Keiji Nakazawa. L'auteur s'y inspire de sa propre histoire : celle d'un petit garçon de six ans qui a eu la malchance de vivre dans cette ville martyre, cible du premier bombardement atomique de l'histoire de l'humanité. Après avoir traité le sujet par le biais de la fiction dans plusieurs courts récits, il s'est lancé dans cette série qui, en dix tomes, revient sur cette tragédie. Elle en explore aussi les conséquences à plus long terme : le traumatisme, les séquelles physiques et mentales qui ont affligé les rescapés et le triste sort des survivants, souffrant des effets des radiations mais aussi du rejet du reste de la population, par peur d'une hypothétique contagion.
Ce premier tome se concentre sur les quelques mois précédant l'explosion. Il dresse un portrait vivant de la vie avant la bombe, permettant de mieux comprendre une société déchirée entre la loyauté aveugle à un empereur considéré comme un dieu et l'injustice profonde qui l'afflige. Il faut attendre les dernières planches pour que l'enfer se déchaine. Ce qui, jusqu'alors, faisait office de chronique sociale bascule dans autre chose. Le contraste est vertigineux, même s'il n'a rien d'une surprise. La puissance de l'imagerie déployée par le mangaka n'y est pas étrangère. Ceux qui ont lu la précédente édition chez Vertige Graphic (parue sous le titre Gen d'Hiroshima) n'ont pas pu oublier ce cheval en feu qui rue de douleur. Dans sa préface, Art Spiegelman confesse également être hanté par cette case baroque et sublime.
Évidemment, certains éléments paraissent désormais datés, à commencer par une violence étrangement banalisée. Entamée dans les années septante, la sensibilité était évidemment différente. Cela dit, le père du héros, aussi aimant soit-il, confond un peu trop souvent les torgnoles avec des câlins. Gen et Shinji ont également une sérieuse tendance à se rentrer dans le lard à la moindre occasion. Quant à la violence institutionnelle, elle revêt un caractère tellement répétitif que les scènes d'humiliation et de passage à tabac finissent par susciter une certaine indifférence alors qu'elles sont supposées renforcer un sentiment d'indignation. Ce léger bémol ne remet absolument pas en cause l'utilité fondamentale de ce chef-d'œuvre, mais il illustre l'évolution des mentalités. Il convient de saluer cette excellente initiative du Tripode et espérer qu'une nouvelle génération puisse découvrir l'histoire de Gen.








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