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Chronique des âges fragiles

Entretien avec Manon Debaye

Propos recueillis par L. Gianati Interview 24/09/2025 à 10:29 1045 visiteurs

Avec Des filles normales, publié chez Sarbacane, Manon Debaye propose un récit graphique qui plonge dans l’univers de l’adolescence et des questionnements identitaires. À travers une galerie de personnages féminins, l’autrice explore les doutes, les amitiés et les expériences qui jalonnent cette période de transition. Un album qui s’inscrit, après La Falaise, dans une approche sensible et réaliste d'une période de la vie à la fois fragile et fondatrice. 

Le prix Philippe-Druillet/Galerie Barbier reçu pour votre premier album, La Falaise, a-t-il été un tremplin pour la réalisation de Des filles normales

Manon Debaye: Ce prix est arrivé plusieurs mois après la sortie de La Falaise et le livre avait déjà eu le temps de vivre sa vie. À ce moment, je n’étais plus dans la tournée de promotion mais déjà concentrée sur l’écriture du suivant. Je pense donc que ce prix m'a donné la confiance de continuer dans ce projet et m’a apporté aussi, dans un certain sens, une forme de validation. J’avais besoin pour ce premier ouvrage de cette validation professionnelle qui signifie en quelque sorte « feu vert ». 

Max de Radiguès, votre éditeur chez Sarbacane, vous avait suivie pendant la réalisation de La Falaise. Votre collaboration a-t-elle évoluée pour Des filles normales

M.D. : Max a continué de beaucoup s’investir pour Des filles normales. Je trouve qu'on a une très bonne relation de travail et, chaque fois qu'il me fait des propositions, elles sont toujours pertinentes. Etant lui-même auteur, nos relations sont en fait horizontales. Je lui fais confiance et j'adore ses histoires. Concernant La Falaise, je lui avais envoyé un storyboard déjà abouti et seules quelques retouches avaient été faites. Pour Des filles normales, l’accompagnement a eu lieu depuis le tout début, donc ce n'était pas tout à fait la même manière de travailler. Comme le sujet était assez dur, je pense que j'ai eu peur d'y aller à fond et je m'étais un peu retenue. Après 80 pages de storyboard, Sarbacane m’a demandé de recommencer et de me recentrer sur le sujet. Ils ont eu raison. Pour le second, Max de Radiguès me suit, mais également Marie Lavabre. Travailler avec un éditeur pousse à aller toujours plus loin.

Max de Radiguès traitant lui aussi de sujets évoquant l’adolescence, confrontez-vous vos opinions et vos idées sur le sujet ? 

M.D. : On évoque ensemble plusieurs sujets tout en restant assez focus sur mon travail d'écriture, ce que j'apprécie puisque c'est une relation qui est très professionnelle. Je pense qu'on a tous les deux tendance à aller vers quelque chose de tragique, moi sans doute un peu plus que lui. 

Dans La Falaise, les deux héroïnes étaient collégiennes. Dans Des filles normales, les trois copines sont au lycée. Existe-t-il une forme de continuité entre les deux albums ? 

M.D. : Les deux histoires sont indépendantes mais je sentais qu'avec La Falaise, je n'avais pas dit tout ce que j'avais à dire sur l'adolescence. Avoir des personnages lycéennes m’a permis de m'intéresser au rapport au corps, à l'arrivée de la sexualité. À cet âge, trois ans de différence c'est énorme. L’idée générale reste toujours la même, à savoir comment grandir dans un monde patriarcal quand on est une fille. Je vois parfois ces deux ouvrages comme un diptyque mais avec des réflexions un plus poussées pour le deuxième. 

Vous avez dit qu’il y avait un peu de vous dans les deux filles de La Falaise, Charlie et Astrid. Est-ce aussi le cas pour les trois personnages de Des filles normales

M.D. : Je crois qu'on est toujours obligé de mettre un peu de soi dans ses héroïnes. Donc oui, j'y ai distillé des petits bouts de moi. Je me sens plus à l'aise quand je peux m'identifier à des personnages pour les faire vivre et les rendre humaines. C'est plus facile pour moi quand j'ai l'impression de parler un peu de moi à travers elles. Ce n’est pas un livre autobiographique mais j'ai été chercher dans des souvenirs personnels d'adolescence que j'ai parsemés par ci par là. J'admire les auteurices qui parviennent à créer des personnages qui sont à des années lumières d'eux même.

Justement, comment avez-vous réalisé le casting des trois personnages féminins ? 

M.D. : Quand j’ai commencé ce projet, j’ai voulu que les personnages se rapprochent du titre, Des filles normales. Je me suis donc remémorée comment j’étais ado, comment étaient les jeunes filles autour de moi, quelles étaient nos préoccupations, nos envies… Je ne voulais pas, par exemple, de personnage marginal comme l’est Charlie dans La Falaise. Une fois les bases posées, il fallait que leur personnalité contraste un peu les unes avec les autres. Cela passe par le design de chacune mais aussi par leur dynamique. Giulia, par exemple, est assez effacée dans la première partie et s'affirme dans la deuxième alors qu’Alice et Maé prennent immédiatement beaucoup plus de place. Il y a beaucoup de slutshaming dans la première partie entre les copines, et ce sont des choses qui existaient dans mes cercles d'amitié, avec des moments de complicité très intenses et, le mois suivant, des déchirements qui pouvaient être terribles.

Il y a d’un côté le père de Maé, plutôt conservateur dans sa manière d’éduquer sa fille, et de l'autre la mère d’Alice qui semble décharger sur sa fille toutes ses tensions amoureuses. L’éducation joue-t-elle un rôle essentiel dans ce que deviennent les adolescentes ? 

M.D. : Je souhaitais aussi montrer que les filles ne viennent pas des mêmes milieux sociaux. Sans que ce soit frontal, je voulais que l’on comprenne les logiques de fonctionnement des adolescents à travers les différents personnages des parents et de leur faire porter la responsabilité quand ils abandonnent leurs enfants. L’abus dont est victime Alice s'est construit de manière systémique avec les parents, les amis, l'environnement et simplement avec le fait d'être une jeune fille très vite exposée à des comportements toxiques autour d'elle. Même si la mère d’Alice porte quelque chose de tragique en elle, elle est néanmoins en partie responsable de ce qui est arrivé à sa fille.

Le récit est structuré en deux parties très distinctes. Une évidence dès le début du projet ? 

M.D. : J'avais lu un livre de Joyce Carol Oates, Les Chutes, dans lequel il y a une rupture très nette et j'avais adoré. Mon récit s’est structuré très vite autour de cette idée. Ce qui m'intéressait aussi dans Des filles normales, c'était de parler de la cassure qu'on ressent à l'adolescence où il y a un avant et un après, quand un événement vient bouleverser la personne qu'on est. Je voulais donc qu'il y ait cette partie au milieu qui vienne rompre ce qui était construit et qu'on bascule ensuite dans quelque chose d'assez différent. Par la suite, je me suis sentie coupable de ce qui se passait et de ce que je faisais vivre à mes personnages, j'ai voulu revenir en arrière mais je me suis accrochée à mon principe de base.

La deuxième partie révèle, qu’avec quelques années de plus, les jeunes filles ont pris de la hauteur sur les événements qui se sont déroulés quand elles étaient adolescentes… 

M.D. : Dans la première partie, en tant que lecteur ou lectrice adulte, on voit tout de suite que la situation dans laquelle évoluent les filles n’est absolument pas normale. Mais elles ne le perçoivent pas de la même façon car ce sont des adolescentes. Dans la deuxième partie, les filles ont eu le temps de grandir, et je me suis demandée comment on peut survivre à l'adolescence, à cette cassure et comment on se construit ensuite en tant qu’adulte quand on a vécu un événement aussi tragique. La culpabilité est également très importante et c’est un sentiment finalement très normal dans cette situation. Dans ma vision des choses, Maé a vécu les sept années qui séparent les deux parties pratiquement en apnée.

Isaac Dean est le personnage masculin par qui tout est arrivé. Comment l’avez-vous imaginé ? 

M.D. : J’avais fait une série de dessins avant de commencer l'histoire, un début de projet qui s’appelait « J’attends que tu te décides à venir, Isaac Dean ». J’aime bien le personnage de la groupie ayant moi-même grandi dans un milieu très musical. Il y a toujours eu de la musique chez moi, très peu de silences. J’ai aussi un attachement visuel à la musique, tout ce qui tourne autour les posters, des t-shirts… Enfin, il y a ce pouvoir un peu enchanteur de la musique où, quand on est fan, on a toujours l'impression que l’artiste s’adresse directement et uniquement à soi-même. Quand j’ai grandi, je me suis demandée pour quelles raisons les rock stars étaient toujours des hommes avec des filles voulant être constamment près d’eux… J’ai lu la biographie de Pamela des Barres, Confessions d’une groupie, et beaucoup de choses autour des groupies. Ce que je trouve intéressant, chez Pamela comme chez d’autres, c’est cette envie de créer sans forcément oser le faire et de se mettre en périphérie. C’est pour cette raison que j’ai voulu trois filles un peu musiciennes dont la pulsion créatrice va être détruite par une idole qui va les reléguer au rang de simples fans. Je me suis aussi rendu compte que la plupart des artistes dont j'étais fan étaient des personnes assez médiocres sur le plan personnel et avaient eu des mauvais comportements, notamment des relations avec des mineurs. Pour dessiner Isaac, j’ai fait une sorte de mashup de plein de rockstars des années 70. Avant que le lecteur ne soit face à lui, je voulais qu’on le voie déjà à travers les posters que les filles avaient dans leur chambre et qu'il y ait une différence entre les images qu’on a de lui et la version réelle, beaucoup plus pathétique. Quand je l'ai imaginé, c'était aussi mon fantasme adolescente d'un homme brun, ténébreux, mystérieux, orageux. 

La première apparition d’Isaac est en contre-plongée avec cette impression de dominer les trois adolescentes face à lui…

M.D. : Effectivement, je voulais qu’un lecteur ou une lectrice adulte ne puisse pas s'y tromper quant à la menace qu'il représentait. Je voulais aussi éviter de glamouriser ce personnage et d'en faire un personnage qu’on pourrait excuser en racontant son histoire personnelle ou son passé. Je voulais en revanche me concentrer sur les filles, leurs souffrances et leurs vécus. Dans la mise en page, j’ai fait en sorte que dans presque tous les moments où il apparaît, il soit au-dessus en train de surplomber les filles car sa présence les écrase et les divise aussi. 

Commencer l’album par une scène de sexe, c’était murement réfléchi ?

M.D. : Au départ, j’avais soigneusement évité toutes les scènes d’abus sexuels dans la première partie et ce pour plusieurs raisons. Tout d’abord, c’était des scènes qui m’étaient très difficile à écrire. Aussi, je n'avais pas envie de sexualiser une adolescente de 16 ans. Je me suis donc arrangée pour qu'on ne voit rien de concret, que son corps ne soit pas montré. La première version que j’ai faite était beaucoup plus édulcorée. L’éditeur m’a alors fait comprendre que je ne pouvais pas parler d’abus sexuel sans le montrer plus explicitement. Enfin, ça permettait de commencer le récit par quelque chose d’assez fort et d’orienter directement la lecture des pages suivantes, plus légères, vers un ton plus grave. Alice est un personnage fragile qui mythonne à ses amis. Elle se voile la face et se ment aussi beaucoup à elle-même. 

Imaginer et dessiner trois adolescentes avec sept ans de plus, c’est un exercice amusant ? 

M.D. : J'ai adoré et j’étais de plus très contente de dessiner des personnages un peu plus adultes. Cela a été un vrai plaisir d’imaginer leur évolution. Par exemple, Maé est restée un peu coincée, y compris dans son physique qui n'évolue pas tant que ça. Si je prends Giulia, elle a un physique qui est radicalement différent parce qu'elle s'est affirmée d'une autre manière, en dominant un cercle scolaire. Cette étape a été aussi une respiration pour moi. Après une centaine de pages de BD, j'étais un peu fatiguée, et repartir sur ces mêmes personnages mais différents physiquement m’a donné l’impression de commencer un nouveau projet. 

Cela signifie que la réalisation de l’album a été faite de façon chronologique ?

M.D. : Oui parce que j'avais peur qu'on remarque les changements dans mon dessin. En général, je dessine de mieux en mieux au fur et à mesure de l'album et je ne veux pas qu'on remarque ces différences d’une page à l’autre. 

Justement, avez-vous senti une nette évolution dans votre dessin depuis La Falaise

M.D. : Je dessine toujours au crayon de couleur mais avec du pastel sec, ce qui me permet d'avoir un grain qui est assez velouté et encore plus doux. Dans La Falaise, il y a quelque chose de plus brut lié au trait de crayon, je m’en suis aperçue en réouvrant l’album récemment. Le fait de mieux maîtriser mon dessin m’a permis également de mieux servir mon récit, notamment le personnage d’Isaac dont le dessin est souvent plus réaliste que celui des filles. Je souhaitais justement que la différence de niveau entre elles et lui se ressente graphiquement. 

Avez-vous trouvé le titre de l’album rapidement ? 

M.D. : Je l'ai eu tout de suite. C'est vraiment ce que je voulais exprimer, ces filles qui rencontrent Isaac n’ont absolument rien de spécial. Je souhaitais accentuer le fait que ça arrive à presque n'importe quelle fille de grandir dans un monde où on se sent oppressé et d’essayer se développer en tant qu’individu tout en ayant un rapport compliqué avec son corps.


Propos recueillis par L. Gianati

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