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uelque part en Syrie, dans la région du Rojava, les troupes de Daesh et celles des YPG (Unités de protection du peuple) se livrent une lutte sans merci. C'est là qu'une équipe de journalistes occidentaux suit une jeune snipeuse. Âgée de seize ans seulement, elle est devenue une star des réseaux sociaux sous le pseudonyme de Rojava. Sa popularité numérique fait d'elle une attraction médiatique de choix. Lors des prises de vue, les reporters font la rencontre de la commandante Rukan. Après une attaque ennemie qui met en fuite les hommes des médias, Rukan incorpore, non sans réticences, la Youtubeuse. Dès lors, la combattante expérimentée va lui faire découvrir la réalité du théâtre d'opération.
C'est en feuilletant les pages d'un Paris-match chez son dentiste qu'Aurélien Ducoudray a découvert l'existence des YPJ. Ces unités de protection de la femme créées en 2013 par le Parti de l'union démocratique kurde, pendant féminin des YPG, sont dirigées par des femmes. Le reportage a marqué le scénariste par son esthétique léchée sentant la propagande à plein nez. Sa curiosité l'a poussé à se renseigner sur cette partie de la Syrie revendiquée par le parti kurde ainsi que sur les acteurs impliqués. Progressivement, se nourrissant de témoignages, le scénariste a su créer une histoire où la fiction rejoint la réalité. De nombreux reportages ont mis en scène des adolescentes et des femmes vêtues de treillis neufs et portant des accessoires à la mode ou des baskets dernier cri. Au-delà de l'aspect propagandiste auquel les médias ont succombé, les YPJ sont de véritables guerrières portant un vrai projet politique. Elles ont participé aux campagnes les plus rudes du conflit syrien. Le scénariste ne cache pas la défiance de Rukan envers Rojava. Il prend aussi le temps de présenter les autres sœurs d'armes, qui viennent toutes du monde civil mais qui ont choisi la voix du sang pour délivrer leur terre de l'intégrisme religieux et du gouvernement d'Assad. Pour éviter de s'enfermer dans une approche de type "documentaire", l'auteur parvient à glisser quelques respirations comportant un peu d'humour,
Pour la première fois, Sébastien Morice traite d'un sujet contemporain. Habitué des récits de guerre et historiques, il a su puiser dans sa formation d'architecte pour nourrir les décors de l'album qu'il voulait réalistes. De plus, l'intrigue se déroulant dans un périmètre restreint, il a dû reproduire sous tous les angles les bâtiments et autres repères visuels. Les bédéphiles auront vite l'impression de suivre les protagonistes, immergés dans l'action. Sa minutie et sa volonté de précision sont aussi présentes dans l'aspect qu'il donne à ses personnages.
Accessible à un large lectorat , ce premier tome de Rojava, tout aussi passionnant qu'haletant, rend hommage à des femmes courageuses qui se sont battues pour leur liberté.
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Il faut saluer cette sympathique mise en images du combat des femmes du Kurdistan : il n'y a pas que des barbus au Moyen-Orient.
La rentrée littéraire c'est aussi des albums BD : voici Rojava avec Aurélien Ducoudray au scénario et Sébastien Morice au dessin.
Sa formation d'architecte permet à S. Morice de se montrer très réaliste dans les scènes de guérilla urbaine au cœur des ruines syriennes et A. Ducoudray a réalisé de son côté un gros travail de documentation pour décrire cet épisode de la guerre civile syrienne.
Un second épisode est programmé : on a déjà hâte !
L'héroïne, Rojava, est une très jeune femme kurde (16 ans !) qui s'engage comme sniper (snipeuse ?) dans les YPJ, la déclinaison féminine (depuis 2013) des YPG (Yekîneyên Parastina Gel : Unités de Protection du Peuple), la branche armée de la lutte pour l'indépendance du Kurdistan au Moyen-Orient.
La nouveauté peut-être, c'est que les dirigeants des unités YPJ sont des dirigeantes, leurs chefs sont des cheffes, et ça c'est un peu nouveau dans l'histoire du combat au féminin.
Leur cri de ralliement : « La vie ! La femme ! La liberté ! »
L'ironie de la chose (si ironie il y a ici), c'est qu'elles sont devenues les bêtes noires de Daesh : aux yeux des barbus intégristes, se faire tuer par une femme est déshonorant et ferme la porte du paradis ...
Rojava c'est aussi le nom de la région du nord de la Syrie, c'est donc la partie sud-ouest du Kurdistan.
Lorsque la snipeuse Rojava débarque dans l'album, elle tient le rôle principal dans un reportage Youtube filmé par des journalistes occidentaux, ce qui ne plait pas forcément à la commandante de la section, Rukan.
Pour la petite histoire, A. Ducoudray a eu cette idée en lisant (chez son dentiste !) un reportage-photo de Paris-Match sur des combattantes kurdes vêtues de propre, maquillées, baskets neuves aux pieds, comme à la fashion-week : sans doute un peu d'habile propagande de la part du PKK !
Au premier abord, on pourrait croire à une BD pour ados, mièvre et éducative : l'héroïne est moitié snipeuse moitié youtubeuse et il y a même dans l'équipe une gamine qui collectionne les photos de martyrs !?
De plus, A. Ducoudray parsème son récit de blagues anti-Daesh histoire de détendre un peu une atmosphère de guérilla pour le moins tendue.
Mais ce n'est qu'une amusante façade, et le propos, très documenté, va s'avérer bien plus sérieux que cela.
« [...] Après mon premier affrontement, j'ai décidé de ne plus avoir mes règles ... À partir de là, j'étais dans un monde où il n'y avait plus que la mort, donc continuer chaque mois d'avoir un rappel que je pouvais donner la vie, ça ne coïncidait pas avec ce que je vivais ... »
Ou bien encore :
« [...] - Tiens, mets ce caillou dans ton slip. Chaque fois que tu seras couchée pour tirer, ça te griffera le ventre et tu t'endormiras pas ... Le confort c'est l'ennemi du sniper. »
Pour cette dernière anecdote, A. Ducoudray s'est sans doute inspiré du livre de Azad Cudi, célèbre sniper kurde iranien ("Sniper - Ma guerre contre Daech" éditions Nouveau Monde).
On sait que les guerres changent les pays et les frontières, mais aussi les habitants et les mœurs. Les américains l'ont découvert à la fin de la Seconde Guerre Mondiale quand les noirs sont revenus au pays après avoir servi dans les armes et été acclamés en libérateurs en Europe, ... tout comme les blancs, ou bien encore quand les GI sont rentrés chez eux et ont retrouvé des femmes qui avaient pris les affaires en main ... en leur absence.
Les femmes des brigades YPJ espèrent qu'il en sera de même au Kurdistan, si du moins ces guerres prennent fin un jour.
« [...] Contre Daesh, on est tous égaux, mais après ?
Ils me respectent parce que j'ai un fusil et un uniforme. Change le costume, le respect part avec.
Notre plus grand combat après Daesh, sera celui d'une société mixte vraiment égalitaire. »
Les dessins de S. Morice sont ceux d'une belle ligne claire et laissent toute la place à l'intrigue et aux personnages, dessinés et typés avec soin. On a déjà évoqué son passé d'architecte et la colorisation comme les éclairages font ressortir les différentes ambiances : le bleu pour la nuit sur la terrasse, le rouge au fond des tunnels creusés sous la ville, les ocres du désert, ...
Pour éviter toute mauvaise surprise, l’aspect youtubeuse du personnage éponyme n’est là que pour introduire l’album alors qu’une équipe de télé suit celle que l’organe de communication de l’administration Kurde de Syrie met en avant comme l’image des combattantes kurdes modernes face à Daesh. Le reste de l’album est l’histoire d’une petite troupe de soldates affrontant les barbus dans des ruines urbaines.
En adoptant un ton léger Aurélien Ducoudray dédramatise immédiatement le propos et noue permet de pénétrer dans cet univers où les relations humaines sont douces et très loin de ce qu’on imagine d’une zone de guerre. Très pédagogique et réaliste, le scénariste structure le récit dans l’apprentissage d’une certes brillante snipeuse mais tout à fait novice qui apprend au contact de ses sœurs d’arme. Les barbus on les voit très peu, et les personnages se déplacent essentiellement dans des décombres incroyablement dessinés par un Sébastien Morice qui reconnaît que dessiner des ruines « solides » est peut-être encore plus important que de croquer une ville sur pied. Sa formation en architecture permet un réalisme et une lisibilité saisissants et d’éviter la monotonie d’un cadre assez redondant.
L’apport du personnage de Surkheen, gamine squattant avec les combattantes pour échapper au conservatisme de son village, est essentiel, tant pour son aspect comique que pour aérer intelligemment la BD et ne pas se restreindre au récit de tranchée. Distillant au détour d’un dialogue la complexité du contexte, des techniques guerrières à la nécessité de préparer l’après conflit dans une société ancrée à la tradition et pour laquelle les idées très avancées du Rojava (nom de la province autonome du Kurdistan syrien) semblent un peu trop révolutionnaires, le scénario nous happe avec un grand plaisir de lecture.
Réussite totale, aussi belle que bien écrite, Rojava est un nouveau carton de Sebastien Morice et nous laisse impatient de lire la suite. Peut-être un Coup de cœur dès le prochain tome…
lire sur le blog:
https://etagereimaginaire.wordpress.com/2025/08/27/rojava-1-2/