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ernando Pessoa va mourir. Son corps est en train de rendre l'âme. À l'approche de son décès, il part sur les traces de son passé, dans une déambulation nostalgique qui le ramène à certains épisodes de sa vie. En parallèle, un journal commande une nécrologie du poète à un jeune pigiste, aspirant écrivain. Tandis que Simão Cerdeira part à la rencontre des amis du poète lisboète, ce dernier remonte le fil de sa vie et de son œuvre si singulière. En effet, en plus des textes signés de son nom, il a produit de nombreux textes sous d'autres noms. mais il ne s'agissait pas de pseudonymes au sens classique du terme. Derrière chaque hétéronyme, comme il les définit, se dissimule un avatar à part entière, possédant un style propre, des opinions et même une vie.
Ainsi, Bernardo Soares est un modeste employé de bureau dont les aphorismes et réflexions constitueront le Livre de l'intranquillité, chronique du désenchantement face au monde. Alvaro de Campos, l'ingénieur maritime maniaco-dépressif, incarne quant à lui la désillusion face au modernisme. Près de septante-deux alias collaborent pour composer un corps littéraire complexe et multiple, dans lequel l'écrivain trouve une liberté totale.
La fascination de Nicolas Barral pour ce personnage ne fait aucun doute. À travers ce récit, il explore cette personnalité fascinante à la fois par la perspective extérieure d'un admirateur et en confrontant le créateur à ses créations, lors d'un ultime affrontement qui permettra de réconcilier l'artiste et son art. Cette bande dessinée crépusculaire rend hommage singulier à un auteur unique, pour qui écrire valait mieux que vivre. Il convient sans doute d'être sensible à ce genre de démarche qui confine à la mystification littéraire, pour pleinement apprécier cette "presque" biographie, nostalgique et à la limite de l'absurde, qui interroge sur le processus créatif d'un génie complètement atypique.

















Il n'est sans doute pas facile pour un jeune pigiste d'écrire la nécrologie d'un écrivain en toute fin de vie. Il faut tout d'abord savoir que Fernando Pessoa (1888-1935) un écrivain et poète portugais qui ne sera pas forcément connu en France. Il a vécu la fin de sa vie sous la dictature du fameux Oliveira Salazar.
On relèvera une partie graphique qui a été réalisé plutôt avec brio sur le mode de la ligne claire. La colorisation contribue à un rendu assez efficace. Bref, le tout contribue à une bonne lisibilité pour le lecteur.
Quant au récit, il est éminemment sur un mode de philosophie de la vie d'un écrivain qui a fui son existence et son rapport avec le monde pour s'enfermer dans son monde imaginaire, laissant place à une douce folie. Bref, une errance qui le conduira d'Afrique du Sud à Lisbonne.
L'explication donnée sera fort triste car liée à son enfance et notamment la perte de son père ainsi que d'un ballon jeté à la mer par la mère en colère. Les traumatismes d'enfance peuvent nous poursuivre jusqu'à l'heure de la mort.
A noter que l'écrivain est connu pour la publication bien après sa mort en 1982 du livre de l'intranquillité qui constitue en fait un recueil inachevé de réflexions, de pensées et de poèmes rédigés de manière inconstante et notés sur des feuilles éparses. Curieusement, c'est cet ouvrage qui est considéré comme son chef d’œuvre.
Une œuvre mélancolique qui ne sera pas si facile d'accès mais qui mérite lecture pour peu qu'on s'intéresse à la littérature et au processus de création. Je retiendrais surtout son dernier mot à savoir « j'ignore de quoi demain sera fait ». L'incertitude dans toute sa splendeur !
Monsieur Pessoa, poète, pourrait aussi s'appeler "Monsieur Personne" tellement il traverse la vie en essayant de faire, extérieurement, le moins de bruit possible.
Mais intérieurement, elle est riche de multiples auteurs, sa vie! Par contre, elle est surtout derrière lui du fait de ses excès d'alcool et de cigarette et un pigiste du journal local est chargé de préparer sa nécrologie et sert de fil conducteur pour mieux comprendre qui est ce "Monsieur Intranquille".
C'est beau, poétique, bien dessiné (même si le découpage st un peu trop classique et répétitif) et avec un côté polard qu'on ne soupçonnerait pas.
Superbe BD!
Attention chef d'œuvre !!
Mettre en BD une biographie est toujours un véritable challenge, d’autant plus lorsqu'il s'agit d'un écrivain poète multiple, dont la vie ne se caractérise pas vraiment par des pérégrinations aventureuses !
Par sa mise en scène remarquable qui, tout à tour, place le lecteur en spectateur dans les pas du journaliste Simão Cerdeira en charge d’écrire sa nécrologie, puis nous plonge habilement au cœur des névroses de Passoa, N.Barral nous offre un récit touchant, plein de sensibilité qui illustre parfaitement la complexité de l’auteur.
Coté graphisme, les décors précis de Lisbonne et la justesse des expressions des personnages, tous attachants, ne laissent pas insensibles et participent pleinement à cette immersion dans la vie de l’écrivain.
Les extraits des écrits de Passoa qui parsèment le récit, participent à cette découverte et sont autant d’invitations à découvrir son œuvre.
Mission accomplie donc pour cette biographie qui fait partie des meilleurs ouvrages de cette année, loin devant les blockbusters du moment, mais malheureusement pas assez médiatisée.
A lire d’urgence.