B
ords du Nil, il y a 10.000 ans. L'Égypte des pharaons n’est pas encore. Cependant, depuis le plateau de Gizeh, gardées par un Sphinx à tête de lion, trois pyramides pointent déjà vers le ciel…
Longtemps mûri et façonné à quatre mains par Valérie Mangin et Denis Bajram, Tanis prend aujourd’hui vie grâce aux crayons de Stéphane Perger.
«Vingt fois sur le métier remettez votre ouvrage», dit l’adage, et pour que cette saga – mêlant égyptologie et science-fiction – puisse se déployer sur le long terme, ses deux scénaristes ont réécrit, enrichi, affiné et ajusté leur copie jusqu’à en être pleinement satisfaits… le résultat est là. Toutefois, bien que parfaitement construit et maîtrisé, Tanis manque curieusement de caractère ! En effet, en cherchant à plaire à tous en multipliant les références à l'envi ou en transposant les thématiques contemporaines à l’ère pré-pharaonique, Valérie Mangin et Denis Bajram finissent par se perdre dans leur dédale narratif. Dès lors, l’album devient une synthèse de tout ce qui se fait dans le genre. Certes, en agissant de la sorte, Tanis ne déplaira à personne, au risque de ne pas subjuguer outre mesure. Il en est de même pour le dessin de Stéphane Perger qui livre ici une prestation soignée et visuellement convaincante pour un public d’ados et d'adulescents ; mais sans avoir la petite étincelle d'originalité qui lui confèrerait toute sa singularité.
À trop rechercher le compromis pour faire consensus, Tanis relève ici plus du palimpseste que de la fresque.
Sous une couverture pas très réussie et parfaitement calibrée pour le public du journal Spirou où elle a été publiée en version censurée, Tanis aurait du tomber dans mon oubli, si ce n’était un retour critique plutôt positif des lecteurs comme de la presse spécialisée… qui m’a permis de réaliser les prestigieuses signatures de la série. Bajram (Universal War one… et 2…), Valérie Mangin, l’historienne repreneuse d’Alix et Stephane Perger qui est un des plus intéressants dessinateurs semi-réalistes en activité, excusez du peu. Avec les deux scénaristes on trouve l’alchimie parfaite d’une approche historique sérieuse et d’apports SF directement puisés dans les Cités d’or.
Dupuis est un éditeur étonnant en ce que son ADN est ciblé sur de la BD jeunesse alors que son catalogue a depuis longtemps dépassé les bornes de ce public. Avec des expérimentations rompant les cadres comme Seuls (démarré chez Dupuis avant de migrer chez Rue de Sèvres récemment) ou des séries ado comme Telemaque qui complexifient sérieusement le découpage comme le drame, on est systématiquement tiraillé entre deux envies dans une équation pas toujours simple à résoudre. Tanis en est un parfait exemple, avec un dessinateur qui simplifie son trait pour le rendre très lisible et rappeler la qualité de ses encrages une fois enlevée la couleur directe dont il est coutumier, un focus mis sur deux ado qui peinent à trouver leur place dans le monde et une intrigue relativement linéaire. Pourtant le traitement SF et historique proposé haussent l’ambition du projet, qui se trouve vite engoncé dans son format.
Cela produit un indéniable plaisir de lecture, dans une fantasy antique aux scènes d’action puissantes, parfaitement lisibles, une progression rapide de l’intrigue mais qui nous en apprend finalement peu sur la magie des anciens trouvée dans la pyramide. La proximité avec l’esprit des Cités d’or est incontestable (et assumé par les auteurs) en adoptant une approche cultivée dans un cadre jeunesse, où l’on imagine une Égypte d’avant l’Histoire et héritière directe de la science de l’Atlantide engloutie. Restent des surgissements de violence crue surprenants et une héroïne particulièrement passive dans ce premier tome, bien que le déroulement laisse entendre que ce traitement est volontaire et amènera une progression dès le second volume.
Difficile de critiquer ce volume d’ouverture qui semble maîtrisé de bout et bout et dont les particularités ne sont pas véritablement des défauts. On jugera plus avant à partir du prochain épisode, après un cliffhanger des familles qui rappelle à ceux qui l’ont un peu oublié le talent de conteur du couple Bajram. Un plaisir de création qui se ressent et pourrait, on l’espère, redonner envie de dessin à l’auteur d’Universal War dont on attend toujours depuis maintenant dix ans…
Lire sur le blog:
https://etagereimaginaire.wordpress.com/2025/05/08/tanis-1-les-tombeaux-datlantis/