L
e système économique actuel peut-il encore fonctionner pour offrir ce que les individus attendent ? Une croissance infinie est impossible dans un monde fini. L'humanité est aujourd'hui face à un choix : une récession subie ou une décroissance choisie et heureuse. Les décideurs en sont convaincus mais laissent courir jusqu'à ce que le Président de la République saisisse une opportunité pour lancer un test grandeur nature : transformer une partie de Paris en laboratoire de la décroissance.
La plupart des titres consistent en une transposition graphique (au mieux)ou une adaptation d'un ouvrage préexistant), avec l'idée de toucher un public assez vaste dès publication. Ce n'est pas le cas de Et soudain le futur, pour lequel les auteurs ont créé un album-essai en prenant appui sur les expertises de quatre chercheurs en physique, qui travaillent dans l'ingénierie en sciences environnementales.
Mathieu Burniat a bâti un scénario en se basant sur leurs travaux et leurs conseils. Pour contourner le piège de la simple illustration de thèse, le scénariste a construit un récit comportant une intrigue générale et quelques autres qui viennent s'y greffer. Après avoir vu la vidéo d'un influenceur traitant de l'urgence de la décroissance, le Président de la République française lance une opération inédite : expérimenter ce nouveau modèle économique en créant une micro-société sur l'Île de la Cité en plein cœur de Paris.
Six ans plus tard, Mila Weber voit sa peine de prison annulée pour participer à son tour à l'expérimentation. Arrivée sur place, elle est chapeautée par Carl Mermot, un auteur de bande dessinée chargé de réaliser un reportage sur ce qui ce passe dans cet endroit. Au fur et à mesure de la découverte des lieux et de ses habitants, Mila s'adapte, devient maraîchère jusqu'à ce que son nom soit tiré au sort pour remplacer Bernard en tant que représentante à la direction collégiale de la communauté.
L'idéalisme du départ laisse la place à la suspicion lorsqu'un jour une cannette de soda vide est retrouvée sur les quais. Or cette boisson est prohibée en ces lieux. Qui l'a consommée et surtout comment est-elle arrivée là ? C'est en enquêtant que Mila découvrira la face cachée de la communauté, via une partie des habitants ultra libéraux et récalcitrants vivant dans l'aile sud-est. Dans la première partie de l'album, les lecteurs découvrent le fonctionnement d'une communauté décroissante en suivant le personnage de Mila. Les auteurs utilisent son ignorance liée à son isolement carcéral pour générer une présentation pas à pas comportant beaucoup d'explications.
Les protagonistes sont loin d'être caricaturaux, au contraire, les scénariste et le dessinateur jouent la carte des clichés à fond pour mieux les casser. Ainsi, lors de la scène où Mila arrive sur l'île, elle est accueillie par Bernard dans une mise en scène quasi christique à en juger la dégaine du personnage. L'idée reçue associant la mollesse hippie et les décroissants est aussi battue en brèche a cours plusieurs chapitres. Loin d'être avachis et soumis à un leader qui tiendrait davantage du gourou, les habitants bénéficient d'une structure de démocratie participative où tous les points de vue sont possibles dans le cadre de débats organisés. C'est dans ces moments que les scénaristes en profitent pour glisser des informations utiles à la compréhension du monde économique et politique.
Dominique Mermoux opte pour une approche réaliste dans son dessin. Ses personnages sont variés et il sait leur conférer un grand panel d'expressions qui profite considérablement à l'intrigue pour la faire aller de surprises en révélations. Les moments d'humour cynique ont une place de choix. Le dessinateur peut aussi glisser dans les éléments du décor les affiches électorales d'homme politique aux convictions se situant aux antipodes de le décroissance et vénérés par les récalcitrants à l'expérience. La construction de planches se révèle classique, exception faite pour les parties explicatives, le gaufrier disparait, apportant une aération bienvenue.
L'album se termine par un entretien avec François Graner, Roland Lehoucq, Emmanuelle Rio et Aurélien Fricot titré "Un futur désirable pour nos sociétés ?" Tous les quatre reviennent sur les thématiques abordées dans les planches précédentes du point de vue de leur expertise scientifique.
Et soudain le futur est un album tout aussi militant qu'intelligent. Évitant les raccourcis et les idées reçues, les auteurs développent leur point de vue, ainsi que celui du camp adverse. Cet exercice de rhétorique graphique est habile et plaisant à lire.
Poster un avis sur cet album