D
'où vient l'amour ? Est-ce dû à la génétique ? Sommes-nous devenus blasés des témoins blasés de la relation de nos parents ? Ou est-ce un processus débridé totalement hors de notre contrôle ? À travers une balade dans certaines étapes de son passé, l'autrice tente de trier les hypothèses pour répondre à cette question universelle par le prisme individuel.
Stepanka Jislovà livre une autobiographie où elle se met à nu. Partant de ses nombreuses conquêtes amoureuses, elle amène les lecteurs à la suivre à différents moments de sa vie pour tenter de comprendre le fonctionnement du sentiment amoureux et sa différence avec l'attachement ou le besoin de sexe. Pour ce faire, elle joue avec la chronologie, revenant à son enfance.
Dans la première partie de l'ouvrage, elle démontre comment la construction sociale du genre a été forte à son encontre. En effet, ses goûts, déviants au regard de certains, son entourage - ses parents compris - la ramenait systématiquement à sa condition de fille, pour lui rappeler ce qu'il était acceptable de faire, de lire ou de regarder, et d'éviter de se comporter comme un garçon.
Ensuite, Stepenka évoque ses années aux Beaux-arts, jalonnées de rencontres plus ou moins riches ou explosives. Celle avec Michal est déterminante, même si elle n'est pas linéaire et complexe. Le plan cul se mute en amour des deux côtés. Néanmoins, ces deux êtres brisés vont avoir du mal à accepter une relation durable. Michal a le droit à un chapitre pertinent sur sa propre construction en tant qu'homme. En miroir avec celui de Stepenka au début de la bande dessinée, il y livre son parcours émotionnel et la difficulté pour un garçon puis pour un homme, de ne pas afficher de sentiments et de ne pas répondre aux codifications du masculinisme sociétal.
À la fin de l'album, l'autrice revient à nouveau sur un moment de son enfance, en révélant aux bédéphiles l'agression sexuelle dont elle fut victime. Habilement, la scénariste détaille le fonctionnement du pédopiégage mis en place par l'un des encadrants, qui a su la manipuler jetant le doute au sujet de son agression en la déformant afin d'instiller le doute chez la jeune fille. Cette technique nommée gaslighting est fréquemment utilisée par les agresseurs sexuels, les hommes violents et autres manipulateurs. En levant le voile sur cette partie de son passé, avec sincérité et courage, la scénariste donne une dimension cathartique et psychanalytique à son récit. Cela le rend, au passage, encore plus fort.
Graphiquement, le trait est clair et précis. L'organisation des planches vient en contraste avec l'état de confusion de Stepenka. La dessinatrice use de toute les possibilités de mise en page pour proposer une lecture non linéaire. Allant du gaufrier classique à l'illustration en pleine page ou en double page, elle sait aussi opter pour une approche rejoignant le documentaire quand il le faut. Son choix de colorisation est réfléchi afin de caractériser les moments de sa vie. La domination de la gamme des rouges prend tout son sens au fur et à mesure des différentes révélations, qui deviennent des clefs de compréhension de son état.
Coups de cœur est un récit cathartique et intimiste à la fois fort et poignant, mettant en lumière la difficile reconstruction de son autrice. Un essai dense résultant d'une réflexion honnête et intelligente. À découvrir.
Poster un avis sur cet album