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epuis sa naissance, Uqsuralik arpente les contrées arctiques. Chasseuse, elle subvenait aux besoins des siens ; chamane, elle parlait aux vents glacés, à la terre enneigée ou aux eaux gelées pour protéger son peuple ; et en tant que femme, elle perpétuait la vie. Une fois son destin achevé, transformée en pierre, elle veille désormais sur les vastes étendues glacées du Grand Nord.
S’il était donné de s’interroger sur la pertinence d’adapter un roman en bande dessinée, De pierre et d’os pourrait être une forme de réponse !
Le récit éponyme de Bérangère Cournut, imprégné de l'indicible résilience d’Uqsuralik où les paysages exaltent les sens comme les humeurs chamaniques, est un piège en matière d’adaptation dessinée. Pour l’heure, Jean-Paul Krassinsky évite ce dernier. Il a d'abord transformé le long chant d’Uqsuralik en récit mi-narratif, mi-récitatif, donnant ainsi son propre rythme à l'album. Ensuite, il a choisi de ne pas inclure certains passages importants qui auraient pu alourdir ou déséquilibrer son travail. Ses choix s’avèrent opportuns, même s'ils en amoindrissent quelque peu la charge émotionnelle. Mais surtout, il a su transposer l'atmosphère unique émanant du récit de Bérangère Cournut ; ce faisant les pages noircies de mots laissent place à des pages joliment colorées d’autant plus évocatrices. Ainsi, au-delà d'un scénario fidèle à l'œuvre originale, la partition graphique Jean-Paul Krassinsky transcende l'harmonie entre ce pays inhospitalier et ses habitants ; tout comme le réalisme de ses scènes de la vie quotidienne lui conserve toute sa dimension ethnographique. L’essence du roman s’en trouve ainsi préservée, mais exprimée différemment et parfois, sur les paysages, plus fortement !
Une fois n’est pas coutume pour ce type d’exercice qu’est l’adaptation, les cases aquarellées de Jean-Paul Krassinsky complètent le travail d’écriture de Bérangère Cournut avec une telle justesse (pour ne pas dire évidence) qu’il est difficile d’imaginer qu’il puisse en être autrement.
Les superbes aquarelles de Krassinsky nous invitent à un beau voyage initiatique en pleine nuit arctique. Un régal pour les yeux et les esprits des vents et des glaces.
Jean-Paul Krassinsky (né en 1972) est un auteur de BD connu pour quelques belles aquarelles.
Ce dessinateur réputé adapte ici un roman (sorti en 2020) de Bérengère Cournut : De pierre et d'os, une fable initiatique qui suit le parcours d'une jeune inuite au pays des glaces.
Uqsuralik est encore une jeune fille et l'album s'ouvre avec l'apparition de ses premières règles.
Elle va se faire surprendre par la banquise qui se brise et l'éloigne de l'igloo familial. Elle se retrouve seule, séparée des siens, en pleine nuit arctique.
Elle n'a pour compagnons que quelques chiens et il va lui falloir "chasser avec eux, apprendre d'eux, ou bien mourir par eux, il n'y a pas d'autre choix possible".
Après plusieurs jours de marche et de survie difficile, elle rencontre un autre groupe d'humains, plusieurs familles à géométrie variable comme le veut la coutume, mais avec des "femmes mal tatouées et des chasseurs maladroits".
Ils l'accueillent car "quiconque peuple la banquise par une telle nuit est le bienvenu" et ils vont l'appeler Arnaautuq ce qui veut dire "garçon manqué". Elle n'est pas forcément la bienvenue, c'est une bouche de plus à nourrir et l'un des hommes va même la "couper en deux".
➔ L'album est précédé de la réputation du roman bien sûr (prix du roman Fnac 2019), mais ce sont surtout les superbes aquarelles de Krassinsky qui vont appâter l'amateur de BD. De véritables peintures qui se déploient sur de grandes pages (au format presque carré) avec des tableaux tantôt grandioses, tantôt intimes.
On passe des étoiles sur la banquise glacée aux fleurs sur la toundra verdoyante au printemps.
Ces magnifiques dessins comptent pour beaucoup dans le charme envoûtant de cette aventure écrite au féminin.
➔ Au cours de ce grand voyage initiatique, la jeune fille deviendra femme, mère, chasseuse et même chamane. La survie de ces nomades est réglée sur les saisons, la chasse et la pêche.
Et là-bas on est obligé de compter les bouches à nourrir avant l'hiver aussi précisément que les réserves de gibier.
L'album est généreux (200 pages) et le lecteur verra défiler les saisons puis les années, les générations. À travers Uqsuralik et ses multiples rencontres, le texte, adapté du livre de Bérengère Cournut, va nous permettre de découvrir les coutumes, les traditions, les chants et les superstitions du peuple de l'arctique.
C'est un très beau voyage, éprouvant, émouvant.