A
ngleterre, première moitié du XIXe siècle. Modeste médecin de campagne, Gideon Mantell est passionné par une nouvelle science alors naissante : la géologie. Il n’a de cesse d'amasser et de décrire les fossiles qu’il trouve lors de ses tournées ou que des carriers lui vendent. Mary Ann, sa femme, l’aide dans sa lubie en réalisant des illustrations de ses trouvailles. La dernière en date les étonne spécialement. Il s’agit d’une dent, sans doute d’un herbivore au vue de sa morphologie. Le problème, c’est que celle-ci provient d’une couche sédimentaire trop ancienne pour cette famille d’animaux. À force de l'étudier, le couple réalise qu’il doit s’agir d’un genre de lézard géant jamais observé jusqu’alors. Comme le veut l’usage, ils envoient ensuite une communication à la Société Royale. Preuve que le spécimen est extraordinaire, Gideon est invité derechef à Londres afin de le présenter à la docte assemblée. Outrage suprême, la relique entre en porte-a-faux avec les enseignements de la Bible ! Le scandale qui s’ensuit va se révéler énorme. Les tenants du fixisme affrontent les modernes. Le grand William Buckland entre dans une danse où toutes les sommités du moment, dont Georges Cuvier, vont tenter de donner un sens scientifique et théologique à ce bout de caillou. Plus surprenant encore, c’est Charles Darwin, vingt ans avant la publication de L'Origine des espèces qui apportera une des clefs du mystère de ce qui s’appelle aujourd’hui la paléontologie et les dinosaures.
Récit historique riche et généreux, un peu raconté à la manière des biographies de Catel, La dent de l’iguanodon revient sur les prémices d’un domaine d’étude tout neuf à cette période et sur des évènements qui vont participer pleinement à l’avènement de la théorie de l’évolution alors en gestation. Outre les débats passionnants et le combat contre l’obscurantisme religieux, l’album se double d’une peinture sociale pas moins pertinente. Tout au long du récit, Mary Ann se bat pour exister en tant qu’être humain à part entière. Dans son foyer, c’est elle qui tient la barre et qui (sou)tient à bout de bras un Gideon miné par les doutes (et l’alcool). Par contre, dès qu’elle sort de sa maison, comme toutes les femmes à l’époque, elle disparaît. Certes, ses images servent de bases aux interprétations, mais jamais elle n’est mentionnée, ou alors, seulement comme un simple accessoire aux travaux de son mari.
Évidemment, l’heure n’est pas au féminisme ou à la lutte intersectionnelle. Cependant, cet exemple dépeint parfaitement les mécanismes de l’invisibilisation systématique du sexe faible. De plus, les différents fils narratifs se montrent tellement intelligemment et intimement tissés que jamais l’un ne prend le dessus sur l’autre. Cette admirable construction scénaristique permet un retour à une forme d’égalité amplement méritée. Également très bien pensées, plusieurs scènes de rêves ou plutôt de cauchemars ajoutent ce qu’il faut de liant et de ressenti aux espérances et aux peurs qui traversent ces deux destinées. Il en ressort beaucoup d’amour, autant l’un pour l’autre que pour la vérité.
Classique épisode de l’Histoire des sciences, superbes portraits de pionniers peu connus, le tout sous la forme d’un véritable roman psychologique (presque) à la façon de Jane Austen, La dent de l’iguanodon s’avère être une lecture prenante et très bien documentée. À découvrir.
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