Je me disais que souvent, très souvent, les grand maitre de la BD ont leur propres lettrages, reconnaissables entre mille. Un petit florilège, forcément incomplet, pour ouvrir la parade.
Tardi majuscules et minuscules
Schuiten
Macherot
Loisel
Gotlib
Giraud
Druillet (ou son lettreur, je sais pu )
Chaland
Brüno et son alternance ce majuscules et de minuscules.
Les premiers albums d'Adèle (Ici Même aussi) étaient lettrés par Anne Delobel
Étant passionné de lettrage, la France est le pays idéal pour moi : je ne connais aucune autre "école" nationale où le lettrage d’auteur est une pratique aussi répandue. Aux États-Unis, par ex, de nombreux cartoonistes faisaient le lettrage personnellement (Herriman ), ainsi que de nombreux artistes underground ; mais la plupart des bandes dessinées (jusqu’à l’arrivée du numérique) étaient lettrées par des artisans spécialisés. En Espagne, en Argentine, en Italie* aussi.
En France, par contre, même les auteurs les plus célèbres (pas tous, certes, mais beaucoup) s’occupaient de ce domaine personnellement. Et c'est merveilleux, puisque le lettrage est avant tout dessin. Pour citer le Maître :
To me, the lettering is a form graphology. It reflects your own style and personality. A page of comics without text has its own personality. But when you add the balloons, it suddenly takes up a whole, new different look. For example, I was quite disappointed about the look of my pages The Silver Surfer at first. Without the balloons, I thought they looked too dull, too drab. Then, I lettered them and they changed completely. It became something complete, dynamic. The lettering brought it together.
That's why I don't really understand how an artist can entrust something that is important to a hired hand, no matter how good he may be. A letterer may a professional, but he's very likely someone who has stopped to see lettering as something amusing, but just as another job. To me, it's monstrous to have an important part of the look of a page determined by an outsider.
If an artist's lettering style is truly not legible, then he should learn. I learned my own lettering from Jije, who himself was very influenced by the American masters, like Caniff. I do the best I can. My letter is alive, it dances on the paper. It reflects my personality. To me, the only rule is that lettering should be consistent within its style, that is, all your "s"'s should look the same, etc.
In the case of The Silver Surfer, my lettering on some of the pages is not always as good as I'd like it to be. Some days, I felt tired, less able to concentrate. Also, I was a little bit handicapped by the fact that English isn't my mother tongue, and maybe I rushed a little too much in places. But, in spite of all these problems, I'd still rather have my own letters than the intrusion of someone else's style on my page. I really fail to understand how artists can tolerate this.
The excuse of legibility is, I think, a very poor one. It is something that must be done away with. The reader can be educated to read any style of lettering. Comic strips prove it every day. The Underground proved it years ago. Some of those people's lettering was terrible -- barely legible -- but the readers followed it. We got rid of this attitude in Europe in the early nineteen-seventies. Now, every artist does his own lettering, which is coherent with the art, and it looks much better.
Malheureusement, aujourd’hui, le numérique a changé beaucoup de choses.
*Une liste des auteurs italiens majeurs qui faisaient le lettrage ne serait jamais aussi longue que celle des auteurs français : Buzzelli et Micheluzzi (pas toujours), puis Pazienza, Giardino, Crepax et quelques autres.
« [...] Il mio sogno è nutrito d’abbandono, di rimpianto. Non amo che le rose che non colsi. Non amo che le cose che potevano essere e non sono state [...] ».
Giardino (à noter que Giardino, à l’époque, avait une calligraphie trèèès petite, ce qui rend difficile de lire ses bulles même en grand format )
Crepax
Muñoz (italien d'adoption )
Micheluzzi
Buzzelli
Le Ranxerox de Liberatore, lettré par son scénariste, le regretté Stefano Tamburini
Pazienza (je pourrais remplir un post entier avec des planches d’Andrea, toutes différentes Il a vraiment été l'un des plus grand auteurs italiens du XXème siècle)
Dernière édition par Solomon le 22/06/2023 23:10, édité 8 fois.
« [...] Il mio sogno è nutrito d’abbandono, di rimpianto. Non amo che le rose che non colsi. Non amo che le cose che potevano essere e non sono state [...] ».
Tout d'abord, dans le journal de Spirou, le n°990 daté du 4 avril 1957 ( Numéro célèbre avec l'apparition de Gaston en page 7... - Qui êtes-vous ? ... )
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On retrouve ce lettrage dans les romans-photos du magazine Bonnes Soirées... .
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La question : J'ai entendu parler du métier de lettreur. Était-ce ce boulot là ? Respecter ce lettrage bien particulier ?
Chouette sujet. En plus on peut le tourner en jeu. C’est dense, le texte est écrit petit et serré, il n'y a pas assez de blanc entre celui-ci et le contour des bulles, et l'utilisation des majuscules/minuscules est étrange. C'est qui ?
Ah tu as peut être raison les lettres sont trop similaires pour être à main levée. D'un autre coté c'est une autre époque, ils faisait des trucs de malades. Mais je suis pas objectif. Déjà que quand je regarde les menus de resto écrits à la craie je suis jaloux. Ce serait moi les deux premiers mots seraient bien écrits et après c'est démerdez vous. Ca finirait en ordonnance.
J'ai regardé quelques Hubinon. Ce Tiger Joe de 51 me semble fait à main levée.
Celui ci vient d'Une vie en dessin. Les lettres sont très très similaires avec d'infimes variations.
Pareil pour ce Bergèse de 82. Les A sont quasi identiques mais pas les E et pas les N...
Rien à voir mais en fait je voulais commencer le sujet par un lettrage de Masse. Pi j'ai oublié. Au passage je me suis rendu compte que pour les albums de chez Glénat, ils ont réalisé une police ordinateur exprès pour.
La c'est mon vieil Avalanche Pied Jaloux. Du lettrage artisanal, moulé à la louche.
Dans son cycle de cours au collège de France, Peeters a consacré une séances aux lettres. C'est en partie HS ici (mais il ne faut pas perdre une occasion de partager des bons contenus ) puisque cela aborde le lettrage, certes, mais aussi l'utilisation graphique des lettres dans une optique narrative. Et d'autres choses qui sont complètement HS ici mais bon, c'est la même vidéo, pas ma faute
"Vous pouvez parler en toute franchise. Pour faire court, vous êtes ici chez les salopards, hein, c'est admis. On n'a pas des idées bien jojos et on n’a pas peur de le dire ! On fomente, on renégate, on laisse libre cours à notre fantaisie..."
Caza aussi a un lettrage vraiment très caractéristique. Il était un peu différent au tout début (quand les costumes avaient des dents ou Kris Kool), mais dès qu'il a fait de la SF, il a été très constant. Sur ses derniers albums, il avait fait une police informatique avec son lettrage. J'aimerai l'avoir !
Caza mod koz :
A gentleman is a man who can play the bagpipe and who does not
Je profite de ce sujet pour parler du lettrage numérique, souvent déprécié à tort. Évidemment, le lettrage mécanique n'est pas toujours une réussite, je me souviens de la comparaison entre les comics Marvel publiés par Lug (dont les lettrages étaient tracés à la main) et ceux, tapés à la machine, des éditeurs concurrents Arédit ou Artima. Chez Lug il y avait une véritable harmonie entre le dessin et le lettrage, et quelque chose d'artificil chez ses concurrents. Avec la création de la typographie Comic-Sans MS, le designer Vincent Connare (oui, c'est son nom — au passage, sa carrière ne se limite pas à la Comic-Sans, il a dessiné l'excellente Trebuchet), à la fin des années 1990, certains éditeurs français ont cru malin de publier des traductions de romans graphiques en Comic-Sans. Cette typo est tellement identifiable (c'est la fonte la plus populaire au monde, et en même temps la plus détestée) que l'effet n'est pas du tout celui d'un lettrage naturel. Aux US, des fonderies (des éditeurs de typographies, le nom "fonderie" date bien sûr de l'époque des caractères mobiles en métal) spécialisées produisent des fontes adaptées au lettrage de comic-books, qui là-bas sont de toute façon rarement de la main des dessinateurs eux-mêmes. Elles sont souvent bien dessinées, mais leur régularité choque un peu. En France, des personnes comme Tony Neveux ou surtout Jean-François Rey, que j'ai eu l'honneur d'exposer au Centre national du graphisme, produisent des fontes numériques sur mesure, adaptées au dessin d'auteurs précis, pour des traductions ou en collaboration avec les dessinateurs eux-mêmes. Leur art est très complexe, car il faut à la fois dessiner les lettres de manière lisible et régulière, respecter l'écriture des auteurs, mais aussi profiter des capacités étendues de formats tels que l'OTF pour ajouter des variations contextuelles ou des irrégularités, créer des typos avec ligatures pour une écriture "liée". Et ensuite espérer que les auteurs ou leurs éditeurs utiliseront tout ça à bone escient, car composer une bulle n'est pas si évident, il faut gérer le blanc tournant, l'approche,... Et au fond, faire en sorte que personne ne perçoive un hiatus entre le geste du dessinateur et celui de la lettre. Ce métier est un peu étrange, puisque les créateurs de fontes numériques souffrent d'une invisibilité consubstantielle à leur art, puisqu'ils doivent (comme tous les auteurs de typos dites "de labeur", opposées aux typos de titrages) faire en sorte que la lecture soit naturelle, et donc, qu'on ne remarque pas la typographie. Il doivent aussi partir de l'écriture d'une autre personne et se mettre à son service, ce qui produit une autre forme d'invisibilisation, et paradoxalement, mieux c'est fait et moins on est conscient qu'il y a un typographe derrière. La création d'une fonte sur mesure réclame du temps et du talent, tous les auteurs ne peuvent pas se l'offrir eux-mêmes — ce sont souvent les éditeurs qui commanditent ces outils, qui les aident pour modifier les textes jusqu'à la publication (ne serait-ce que parce que tous les auteurs n'ont pas une orthographe irréprochable), ou pour pouvoir facilement proposer des adaptations étrangères... Assez souvent, les éditeurs négligent de créditer le typographe, mais avec le temps, ce genre de travail a gagné un peu de reconnaissance et on voit apparaître le nom du dessinateur de la lettre...
La vidéo ci-dessus, réalisée pour l'exposition consacrée à Jean-François Rey au Signe (Centre national du graphisme, à Chaumont) donne la parole à plusieurs auteurs autour de la question du lettrage, mécanique ou non. Dans la foulée, j'avais écrit un billet de blog sur le sujet, pour ceux que ça intéresse de creuser un peu la question.
jnlafargue a écrit:Assez souvent, les éditeurs négligent de créditer le typographe, mais avec le temps, ce genre de travail a gagné un peu de reconnaissance et on voit apparaître le nom du dessinateur de la lettre...
C'est en revanche quasi-systématique dans le monde des comics, où les lettreurs sont crédités clairement — et pourtant le lettrage y est globalement complètement numérisé, standardisé, aseptisé.
J'aurais spontanément tendance à m'inscrire en faux concernant le lettrage américain. S'il est informatique sur toutes les productions (sauf rares exceptions) ces dernières années, il n'est ni aseptisé ni standardisé. On voit bien encore des différences de style, d'autant que certains illustrateurs font numériser leur propre écriture afin d'avoir un résultat proche de ce qu'ils cherchent. Alors oui, des gens éminemment reconnaissables comme John Workman, Ken Bruzenak, Tom Orzechowski, Todd Klein et d'autres commencent à avoir de la bouteille et travaillent moins. La génération actuelle, celle des Nate Piekos (fondateur de la fonderie Blambot) ou Russ Wooton, est très inspirée par des gens comme Workman et Bruzenak, dont on retrouve les choix d'onomatopées et le goût des bulles rondes. Il y a peut-être une forme d'uniformisation, sachant qu'ils viennent un peu des mêmes sources, mais bon, avec un peu d'exercice, on peut toujours reconnaître certains lettreurs, comme avant. Qui plus est, il y a, encore aujourd'hui, une vie, un dynamisme et une inventivité dans le lettrage américain qu'il est rare de retrouver en franco-belge, à mes yeux en tout cas. Surtout dans le mainstream franco-belge.
Je l'ai peut-être déjà posté, mais voici un lien vers un article passionnant détaillant les amusements des scénaristes de la série Incredible Hercules, et de leur lettreur :
Pour les amateurs (je l'ai déjà posté ailleurs, mais ma foi, peut-être que ça permettra à des gens de le découvrir), une petite démonstration de l'expressivité du travail de Todd Klein, qui a travaillé sur le Sandman de Neil Gaiman ou le Tom Strong d'Alan Moore :