Bonjour,
Comme ce sujet me concerne et que
Petercriss m’a signalé son existence, après avoir parcouru les messages, je vais essayer d’apporter quelques précisions. Je prends le temps de le faire parce que les échanges sont plutôt bienveillants, ce qui n’est pas forcément le cas sur Instagram où certains, persuadés de tout savoir (mais sans jamais rien faire), adorent donner leur avis “éclairé”… avis auxquels je ne réponds jamais.
Voici donc tout ce qui peut impacter le prix d’un album :
Le nombre d’exemplaires : moins vous produisez, plus l’album vous revient cher à l’unité (et inversement). Pourquoi ne pas en produire davantage ? Parce que le prix de la licence est calculé en fonction du prix de vente et du nombre d’exemplaires imprimés (qu’ils soient ou non vendus par la suite).
Le format : plus il est grand, plus le nombre d’imprimeurs capables de le réaliser diminue (machines spécifiques, compétences particulières).
La reliure : dos toilé avec marquage du titre (c’est pourquoi on trouve parfois des albums toilés sans marquage : économie), type de toile utilisée, format de l’album, etc. Là encore, il faut trouver le bon relieur.
La couleur ou le noir et blanc : la différence n’est pas exactement du simple au double, mais on est pas loin des 20 à 30 % d’écart.
Le nombre de pages : le prix du papier a bondi de près de 40 % depuis le Covid. Donc, plus il y a de pages, plus la production est chère.
Le papier : en plus du nombre de page va jouer le type de papier, ainsi que son épaisseur.
La licence : payée avant ou au moment de la sortie de l’album auprès de l’éditeur, elle se calcule ainsi : xx % x prix de vente HT x nombre d’exemplaires imprimés.
Les bonus : ex-libris, poster, marque-page et autres goodies inclus avec l’album.
Quelques précisions supplémentaires :
Si je mets en vente 250 albums, j’en imprime toujours plus. Déjà parce qu’en impression offset, on ne descend pas sous les 300 ex. (sinon il faut passer en numérique, parfois intéressant mais pas adapté pour ce type d’ouvrages). Et surtout, à la livraison il y a
toujours des invendables. Combien ? Surprise… Invendables = page de garde collée à l’envers, page froissée ou tachée, mauvaise coupe, mauvaise impression, coin tassé, etc. Chaque album est vérifié plusieurs fois : à la réception, puis lors du collage du certificat et de l’insertion des bonus.
Exemple concret : récemment, sur 300 exemplaires, j’ai eu près de 100 invendables (erreur de pelliculage). Dans le meilleur des cas, c’est 20 à 30. Parfois, c’est 50 % (dans ce cas : retour à l’imprimeur et réimpression = un mois de délai supplémentaire). J’ai aussi eu des cartons entiers avec deux cahiers de 8 pages identiques, des albums dont les pages déteignaient entre elles (temps de séchage trop court), etc.
Sur la trentaine de projets réalisés depuis 15 ans, seuls 5 ou 6 se sont déroulés sans souci. Une fois, j’ai même passé une semaine complète (10 h/jour) à nettoyer un à un des albums tachés. Ce n’est pas un problème lié à un imprimeur en particulier, mais au système : quand vous êtes un petit éditeur, vous passez après les “gros” et le service qualité n’est pas toujours à la hauteur.
Un album noir et blanc que j’éditais en 2015 me coûte aujourd’hui le double à produire… pour un prix de vente identique que j'ai voulu conserver.À cela s’ajoutent les frais d’emballage. Eh oui, nos chers transporteurs (surtout La Poste) sont tellement attentifs que si vous ne blindez pas vos colis, ils arrivent explosés ! Cela me coûte environ 7 € par colis, non répercutés sur les clients. Les frais de port sont forfaitaires et ne couvrent pas le coût réel. Sans parler des colis perdus ou renvoyés sans raison (jamais remboursés par La Poste).
Je pourrais aussi évoquer le temps passé : échanges avec les ayants droit et l’imprimeur, restauration des planches (de 1 à 3 mois selon les projets), mise en page, réception et vérification des albums, collage des certificats, insertion des bonus, promotion sur les réseaux, gestion de la boutique, des commandes, des envois (Poste, Mondial Relay, Relais Colis – essence comprise !), contacts clients, gestion des problèmes (nombreux…).
Je n’ai jamais quantifié précisément le temps passé — et c’est peut-être mieux ainsi — mais une chose est sûre : une fois atteint le seuil de rentabilité, les bénéfices sont dérisoires par rapport à un “vrai travail”. C’est d’ailleurs pour cela que j’ai une activité professionnelle à côté qui me permet de continuer l’édition. En clair : ce sont des soirées et week-ends entiers sacrifiés.
Il ne s’agit pas ici de me plaindre, mais simplement de remettre les choses en perspective. Si je le fais, c’est par passion et pouvoir proposer des tirages qu'en tant que lecteur j'aurais aimé avoir tout en mettant en valeur le talent d'artistes qui ont soit bercé ma jeunesse, soit illuminé des moments de ma vie. Quand j'ai sorti le tirage de luxe d'Une Nuit à Rome T1, Jim n'avait jamais eu les honneurs d'un tel tirage ! Depuis, cela a bien changé.
Alors oui, certains albums coûtent plus cher, notamment
Les Schtroumpfs, car c’est ma plus grosse dépense en licence et en impression. Tout comme une Porsche coûte plus chère qu'une Twingo car ce ne sont pas les mêmes matériaux ni le même nombre d'exemplaires.
À chaque album, je joue la survie de mes éditions : si je me trompe sur un titre, tout peut s’arrêter ou compromettre sérieusement la suite. Après une pause de plusieurs années (cela use à la longue), j'ai relancé l'aventure il y a un peu plus d'un an avec les Tuniques Bleues et quelques autres séries.
Le 3e tirage des Tuniques sort dans deux mois et je pense déjà au suivant (qui sera mon préféré de la série).
En tout cas, je remercie celles et ceux qui me font confiance (dont certains clients depuis le début) et c'est toujours un plaisir de discuter avec des passionnés et des amoureux de la BD.
Et si vous avez des questions, n'hésitez pas.
