Les nageuses de minuit

E ngluée dans un quotidien morose, Vik ne sait plus trop où elle va. Tout au plus est-elle consciente qu'elle est prisonnière d'une sorte de no man's land social et émotionnel. Le hasard l'oblige à pousser les portes de la piscine municipale. Elle y assiste à un spectacle surprenant : un groupe de femmes âgées pratiquant la natation synchronisée. Qui sont-elles ? Irrésistiblement attirée, la jeune femme va devoir surmonter son aquaphobie pour intégrer ce groupe de personnalités aussi diverses que puissantes.

Si le point de départ pourrait rappeler Le Grand Bain, rien dans le ton ou l'intrigue n'évoque le film de Gilles Lellouche. Cette bande dessinée se révèle plutôt une ode à la sororité et un récit de résiliences, explorant les injustices et les injonctions imposées aux femmes. La scénariste Valentina Grande, qui est aussi écrivaine, professeure de littérature et animatrice de radio, a déjà réalisé plusieurs portraits de femmes, dont celui de Gertrude Stein. Elle aborde frontalement la problématique du rôle de la femme dans la société, dénonçant la culpabilisation de celles qui privilégient leur carrière, les diktats, l'âgisme, le racisme et les violences sexistes systémiques.

Ces nageuses de minuit représentent autant de destins douloureux. Le propos n'est pourtant pas à la victimisation. Il privilégie la glorification du combat et de la solidarité. L'une des protagonistes cite Lily Tomlin, qui déclarait "Abandonnons tout espoir d'un passé meilleur". Cette phrase encapsule parfaitement ce qui pourrait résumer la morale de cette histoire. Il faut se tourner vers l'avenir et vivre, au lieu de se torturer avec ses échecs et ses regrets. L'utilisation de la natation synchronisée se révèle très judicieuse. Cette discipline implique une confiance totale, un abandon à l'autre et une coopération parfaite. C'est ainsi que la grâce et la beauté peuvent survenir. Le motif de l'eau offre aussi de belles possibilités métaphoriques pour souligner l'état d'esprit de sa personnage principale.

Il ne faut pourtant pas craindre un album revendicatif. S'il est percutant sur le fond, la forme se révèle délicate grâce à un trait subtil et un travail nuancé sur les couleurs et la lumière. Et il est vrai qu'il met en scène des héroïnes lumineuses et attachantes.