A
près avoir consacré des albums à l'ours et au renard, Jean-Claude Servais poursuit la série La faune symbolique en se penchant sur le corbeau. De grande taille, noir et charognard, l'oiseau n'a rien pour séduire. Au fil des siècles, sa mauvaise réputation s'est inscrite dans la légende, d'Apollon aux Vikings, en passant par Noé et les contes nordiques. Aujourd'hui encore, il symbolise le malheur.
Éléonore, la protagoniste du récit, est pourtant fascinée par ce corvidé ; elle possède d'ailleurs une corneille domestique. Amoureuse d'un Allemand pendant la Deuxième Guerre mondiale, elle se voit stigmatisée à la Libération. Quinze ans plus tard, son héritière, Alice, se libère de l'infamie familiale en se lançant dans une carrière de chanteuse à la voix envoutante, laquelle constitue un contrepoids au cri rauque du volatile.
Mine de rien, le projet est ambitieux. Avec en toile de fond les sciences naturelles et la mythologie, l'auteur raconte le destin d'une jeune femme pendant le conflit, puis celui de sa gamine ; ce qui l'amène, tout naturellement, à aborder la condition féminine. L'ensemble, quoique disparate, se tient assez bien ; notamment les parenthèses mythologiques, lesquelles se glissent habilement dans la trame narrative.
La mauvaise fortune du corbeau, d'abord blanc, avant d'être condamné à être noirci par le fils de Zeus, évoque évidemment celui de la jouvencelle subissant l'opprobre de la bourgade.
Le dessin réaliste de l’artiste est reconnaissable au premier coup d'œil. Le lecteur y redécouvre ce qui a fait sa marque de commerce depuis quarante ans : jolies filles, campagne, villages wallons, faune et paysages, toujours représentés avec un grand souci du détail. Il y a peu à redire, sinon que les visages de certains personnages à l'arrière-plan sont rapidement exécutés. Son coup de crayon est du reste mis en valeur par les très belles couleurs de Raives.
Les récits de Jean-Claude Servais sont passablement codifiés. Les ingrédients demeurent les mêmes et le bédéphile a peu de chances d’être surpris. Il sait du reste que les nouvelles publications du Belge ne sont pas du calibre de Tendre violette ou de La mémoire des arbres. Cela dit, la démarche teintée d'humanisme apparaît honnête et retrouver le dessinateur naturaliste fait (presque) toujours plaisir.








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