L
a réunion se déroulait bien (comme il se doit) avant que monsieur Nosgreb ne se fasse remarquer, un malaise apparemment. Ce comportement nous a étonné, car d’habitude, Monsieur Nosgreb est un exemple de probité et d’excellence. Il a ensuite quitté la salle précipitamment. Nous avons dû finir sans lui. Une fois arrivé à son bureau, ce dernier s’écroule. Il est décédé et sa mort ne paraît pas naturelle. Dépêchée sur place, l’inspectrice Luce débute son enquête. Quelques analyses plus tard, le légiste confirme que le décès est hautement suspect : la victime serait morte de rire. Stupeur, alors que ça fait des années que cette pratique a été bannie de la société. Discrétion et diligence, les consignes venues de la hiérarchie ne tardent pas à tomber.
Forme plastique s’il en est, le polar est le véhicule parfait pour parler du monde qui nous entoure ; ajoutez une dose de dystopie, un peu de satire sociale, ce qu’il faut de tiroirs ou de clin d’œils et vous obtenez une lecture à haut potentiel détonnant. C’est exactement ce que Céèf, auteur passé par l’école Charlie Hebdo, a fait dans Sans rire ? Le crime n’est évidemment qu’un moyen détourné afin de plonger le lecteur au cœur d’un univers, certes décalé, mais très proche du nôtre. La grande différence ? L’humour a été banni, principalement pour éviter les conflits et les incompréhensions. En remplacement, comme la nature déteste le vide, l’abnégation et le sens du travail se sont ajoutés aux vertus cardinales traditionnelles. Paradis et béatitude ? Les découvertes de Luce et de son assistant Emmanuel-Frédéric (fils du sous-ministre, il a été pistonné) vont montrer que la réalité est plus compliquée que cela et que des arrangements sont toujours possibles entre personnes distinguées.
Marc-Antoine Mathieu (Julius Corentin Acquefacques ne travaille-t-il pas au Ministère de l’humour ?), les copains de Charlie (Willem, Gébé, entre autres), les Monty Pythons (of course) et José Carlos Fernandes (pour le C.H.U.T et ses itérations administratives), les influences sont nombreuses, mais globalement bien «digérées». Surtout, Céèf tient solidement la barre et chaque nouvel élément ou indice s’ajoute à un dossier finalement parfaitement ficelé. De plus, si le côté comédie est de rigueur, l’auteur multiplie, presque en douce, les réflexions quasi-philosophiques sur l’importance cruciale du rire dans les échanges humains. En résumé, du nawak, de l’énorme et du sérieux aussi, le tout raconté avec beaucoup d’application et d’explications.
Un peu longuet (le dernier quart aurait gagné à être resserré) et de l’absurde à revendre, Sans Rire ? est emballé par un trait tout en rondeur et une mise en couleurs audacieuse pas moins sympathique. Un très bon premier album exploitant intelligemment son sujet de départ et utilisant habilement toutes les possibilités graphico-logiques de la bande dessinée. À découvrir.








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