DIGNUS EST INTRARE a écrit:je suis lassé par le manque d’originalité scénariste de beaucoup d’œuvres récentes.
Merci pour ton commentaire qui est intéressant mais pose plusieurs questions. Premièrement le fait de travailler sur un thême connu n'est pas forcément "perdre toute originalité", j'en veux pour preuve le Peter Pan de Loisel, par exemple.
Il y a plusieurs points à regarder : Toute création populaire est basée sur des acquis collectifs, tout esthétique collectif est un cliché par nature. Parce que nous réagissons à ce que nous connaissons. Ce qu'on appelle original, en général, c'est juste d'associer des choses qu'on connait, mais qu'on n'a pas l'habitude de voir ensemble. C'est juste modifier une recette.
Selon moi, la véritable originalité, c'est de parler de soi, au sens où les émotions qui fondent le récit sont incarnées par l'auteur. C'est même selon moi, la définition de l'artiste même : Celui qui fait de sa subjectivité un message universel.
En fait il y a deux façons de travailler dans nos domaines narratifs : 1 : Utiliser des systèmes narratifs et des ingrédients appartenant à un même univers culturel pour créer une "nouvelle" histoire sur la base d'un genre établi. 2 : Partir de soi, de son désir d'artiste de partager un sentiment profond, et ensuite trouver la forme adéquate.
J'appartiens plutôt à la deuxième catégorie, ce n'est pas l'outil qui définit mon propos, mais l'inverse.
Donc comme je l'ai expliqué, Pinocchio s'est imposé à moi parce que j'ai cherché à mettre en place une méthode de psychanalyse basée sur la remise en question de l'identité comme fondement de l'individu (pour faire simple). Je postule que la personnalité soit un effet de la nature individuelle confrontée aux contraintes du monde. Je postule également que le retour au constat candide de l'état des choses est la "première question", celle du corps. Bref. Dans cette période de réflexion, j'ai discuté avec Jean-Luc Masbou, et nous avons exprimé notre envie réciproque de travailler ensemble, il nous fallait trouver un terrain de rencontre. Et Pinocchio m'a sauté à l'esprit. Je l'ai donc relu. Et j'y ai découvert la confirmation de toute ma réflexion psychanalytique. Voilà pourquoi je me suis lancé là dedans. Ce n'est pas se soumettre à une œuvre populaire, c'est révéler en quoi cette œuvre pourrait bien être la preuve de ma vision du monde.
Ce qui est intéressant, c'est que c'est un conte pour enfant, alors qu'on peut vraiment y voir un propos fondamental sur l'identité, une question, celle du corps. La question de Pinocchio, c'est : "Suis-je mon corps ? Ou suis-je ce que je pense de mon corps ?" C'est en fait toute la dialectique qui oppose nature et culture qui se joue ici.
Ce propos, je l'ai déja traité dans "Un battement d'aile de Papillon" sorti en Février de cette année. Mais je l'ai fait dans un univers totalement inventé, avec des parti pris personnels originaux. J'ai représenté le "Soi" Jungien sous la forme de petits insectes qui vivent dans le coeur des pantins. Je n'ai pas expliqué mon propos, parce qu'expliquer c'est tuer la magie. Ce livre a été très mal diffusé (mise en place à 2000 exemplaires, la pire de ma carrière, alors que c'est selon moi, mon meilleur livre), mais il a tout de même rencontré un succès d'estime dans une période extrêmement difficile pour la BD. Cependant, je constate que certaines personnes n'ont pas compris mon propos, ils l'ont trouvé "Bizarre", ou ils ont perdu le fil du récit. Parce que si mon propos est universel je crois, les choix formels que j'ai fait ont déstabilisé ces lecteurs. Nous sommes dans une période où le doute n'est pas le bienvenu, les gens "veulent savoir" mieux que les autres, c'est une façon de ne pas se remettre en question. J'imagine que c'est parce que les gens doutent fortement, et que ça leur fait peur, ils rejettent donc tout ce qui les place dans l'inconfort, l'inconnu. C'est périodique, ça changera, mais il est vrai que les gens cherchent la sécurité. L'équivalent d'un Moebius aujourd'hui ne serait pas publié, parce qu'il ne serait pas lu. Pour un artiste comme moi, il faut trouver des terrains sécurisants pour le public afin de pouvoir traiter de mes sujets qui sont déstabilisants. Et coup de bol, Pinocchio coche toutes les cases.
Voilà donc mon explication pour mon cas.
Loïc.
pj : Petite case encrée
