A
près avoir été missionné aux États-Unis, puis au Moyen-Orient, Carl Lutz est nommé vice-consul de Suisse en Hongrie en 1942. Choqué par le sort de la population juive de ce pays, il décide de passer outre les ordres de sa hiérarchie et de sauver le plus de personnes possible, quitte à négocier avec l'occupant et à se mettre en danger. En dépit des multiples tensions engendrées par les changements de gouvernements et des pressions des Nazis, Hitler en tête, le diplomate s'entête, afin de rester fidèle à ses convictions.
L'historien Jean-Yves Le Naour est devenu depuis plusieurs années un habile scénariste de bande dessinée. Soucieux de réussir une vulgarisation de qualité, il sait doser son récit avec ce qu'il faut de véracité historique pour offrir aux lecteurs une biographie de Carl Lutz presque exhaustive, rythmée bénéficiant d'une mise en contexte efficace sur la base d'un déroulé chronologique des évènements. Afin d'éviter l'écueil du documentaire en image, l'auteur puise dans la vie de son personnage pour mettre l'accent sur les moments clefs de son action en tant que diplomate, certes, mais surtout, en tant qu'homme. Evitant l'hagiographie en faisant de Lutz un héros placé sous le feu des projecteurs, il ne manque pas d'évoque le rôle crucial de Gertrud Fankhauser-Lutz, puis la rencontre avec celle qui sera se seconde épouse. Le récit est riche en temps forts, comme les rencontres avec l'Obersturmbahnführer Eichmann ou bien encore avec les informations sur la collaboration zélée du nouveau gouvernement hongrois à partir de mars 1944. Le scénario va jusqu'à la libération du territoire par l'Armée Rouge et les années qui ont suivi pour constater comment les évènements ont traumatisé Lutz jusqu'à sa mort en 1975.
C'est Brice Goepfert qui assure la partie graphique. Son trait d'aspect classique et réaliste contribue au sérieux du titre. Les protagonistes sont vraiment ressemblants, les décors comme les tenues des différentes armées sont soignés. La colorisation de Tanja Wenisch contribue au ton rigoureux souhaité par les auteurs.
Cet épisode de la série les Justes est préfacé par Serge Klarsfeld en tant qu'envoyé spécial à l'éducation de l'Holocauste. Il se termine par un riche dossier pédagogique titré "La diplomatie courageuse" créé par la société Carl Lutz. Bénéficiant de nombreuses photographies, ces pages apportent un éclairage et des précisions au sujet de séquences découvertes dans l'album. Les amateurs d'histoire de cette période apprécieront.
Ce premier titre d'une série dédiée aux Justes parmi les nations est un pari réussi sur la forme et le fond. Une lecture indispensable et pas uniquement pour les férus d'histoire.
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