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ne enfant, dont le nom n’est jamais révélé, naît avec la tête tournée vers l'intérieur, au sens propre. Elle grandit, repliée sur elle-même, avec un père taciturne et une mère extériorisant avec véhémence son souhait d’avoir une fille normale. Bien que le climat familial soit malsain, elle hésite longuement à s’en émanciper. Lorsqu’elle le fait, les événements se succèdent à vive allure pour ce personnage aux aptitudes sociales limitées : amour fugace, avortement, puis obtention d'un emploi dans une boutique d'aéroport, où elle découvre les injustices administratives.
La métaphore aéroportuaire est intéressante. Alors que la protagoniste sort de sa coquille, la scénariste la met en scène dans un lieu de transit, de départ et d'arrivée, un espace porteur de renouveau, d'espoirs et d'échecs.
Au premier abord, le récit s’apparente à la quête initiatique d’une jeune femme prenant ses distances avec sa famille. Il passe toutefois abruptement de l’individuel au collectif. L’autrice dénonce alors la violence policière et les abus dont sont victimes certains réfugiés, avant de se conclure sur le spécifique, alors que l’héroïne semble subir un viol. Fanny Michaëlis a visiblement beaucoup de choses à dire, peut-être trop. Plutôt que d’approfondir une question, elle les survole toutes.
Le dessin se montre heureusement beaucoup plus convaincant. Alors que le manque d’unité du propos dérangeait, il constitue la force dans ce projet éclaté. L’illustratrice explore toute la potentialité du neuvième art. Les motifs, souvent très grands, occupent fréquemment une pleine page, même pour présenter des prises de vue grossies jusqu’à en devenir abstraites, notamment pour tempérer des séquences trop violentes. Le trait, généralement froid, propre et géométrique, n’hésite pas à se métamorphoser pour devenir brouillon quand vient le temps de dépeindre des moments troubles. Parfois, ce passage se fait dans une même planche et le contraste est saisissant. La virtuosité s’exprime avec une panoplie d’outils ; l’artiste a successivement recours au feutre, au fusain, à la mine et à l’encre, à la condition que le pigment soit noir.
Un récit laissant sur sa faim, un objet graphique fascinant.
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