de Cyril91 » 05/08/2025 05:48
J'ai lu la biographie d'Hergé par Goddin. Ca a été long mais globalement intéressant, et ça se lisait donc avec plaisir, hormis pour quelques passages que j'ai trouvés trop développés ou qui ne m'intéressaient pas. Les premiers sont d'autant plus frustrants que j'ai trouvés, au contraire, que certains sujets intéressants étaient peu traités. En écrivant ça, je ne pense cependant pas au point le plus polémique de la carrière d'Hergé, c'est-à-dire aux aspects liés à la seconde guerre mondiale pour laquelle je pense que tout est dit ; je ne partage pas forcément tous les jugements de l'auteur, que je trouve un peu trop indulgent sur certains points ; mais il a le mérite de ne pas chercher à cacher les faits, permettant ainsi au lecteur de se faire son opinion.
Hergé avait publié dans Le soir « volé », un journal collaborateur. Goddin nous présente les arguments d'Hergé, selon lesquels il fallait bien vivre et il ne faisait pas de politique dans ce journal. Ca ne me semble qu'en partie convaincant, vu qu'Hergé gagnait déjà bien sa vie dans les années 30 et qu'il avait d'ailleurs d'autres sources de revenus que la publication dans un journal, avec le marchandising et la réédition des albums chez Casterman. Mais bon, c'est le moins mauvais argument présenté en sa faveur.
Le gros morceau en sa défaveur, c'est évidemment L'étoile mystérieuse. Je ne reviens pas sur les deux cases les plus scandaleuses avec des juifs qui veulent profiter de la panique pour se faire de l'argent. Mais même les autres passages sur le méchant juif à la tête du complot et les Américains sont indéfendables et je trouve que le livre ne met pas assez l'accent sur l'hypocrisie des arguments d'Hergé, qui dit, notamment pour le premier, qu'il avait aussi peint de mauvais Anglais ou Américains, alors qu'il y en avait aussi de bons dans ses albums (ce qui n'était pas le cas du personnage juif) et surtout sans prendre en compte le contexte. En dénigrant des juifs persécutés (et même s'il n'était pas au courant du génocide, Hergé ne pouvait ignorer ces persécutions) ou des Américains avec lesquels l'Allemagne était en guerre dans une Belgique occupée par les nazis, Hergé ne pouvait que faire le jeu des nazis. Et pour moi, sans que ça soit évidemment du niveau de Brasillach ou Céline (très loin de là), ça n'aurait pas rendu injustifiées quelques semaines à l'ombre à la Libération. Et ça rend d'autant plus ridicules ses pleurnicheries d'après-guerre sur ce qu'il a subi ou sur ce qu'ont subi quelques-uns de ses proches qui sont allés bien plus loin que lui dans la collaboration.
Sur les autres points, on est dans une biographie classique, touffue, qui va de son enfance, avec quelques développements sur ses ascendants, à son décès – sans développements sur son héritage, avec un déroulement chronologique et concernant aussi bien sa vie artistique que sa vie privée, l'une ayant évidemment de fortes conséquences sur l'autre et réciproquement.
Il n'empêche qu'en tant que lecteur, j'ai trouvé que la seconde prenait trop de place. C'est un peu au pifomètre parce que je n'ai pas vraiment compté mais j'ai l'impression qu'il y avait nettement plus de 100 pages consacrées d'abord à sa rencontre et à ses tentatives de séduction auprès de Germaine Kieckens, sa première femme puis à ses relations adultères et à sa rencontre avec sa seconde femme, Fanny Rodwell. C'est long, très long, trop long et en plus parfois glauque et sordide, notamment quand Goddin évoque une gifle donnée à sa première femme suite à une querelle – sans préciser si c'était la seule ou s'il y avait eu d'autres violences de sa part.
Les développements sur les âneries à base de spiritisme, l'interprétation de certains rêves (là aussi, il y a du sordide) ou l'art contemporain m'ont aussi pas mal ennuyé mais je reconnais qu'ils étaient nécessaires à la compréhension de l'évolution de la vie et de l'oeuvre d'Hergé.
Ce qui m'a embêté, c'est que ça se faisait au détriment d'autres aspects que je trouve plus intéressants et qui sont à peine abordés. Je pense par exemple à la rivalité entre les journaux de Spirou et de Tintin dans les années 40 à 60, très peu évoquée alors que celle avec Astérix à partir des années 60 est davantage développée – avec un point que je n'ai pas compris : en p. 941 du livre, il est précisé qu'Hergé et Goscinny pourraient s'en vouloir à propos de la p. 30 de L'étoile mystérieuse. Alors, si je comprends très bien pourquoi Goscinny pourrait en vouloir à Hergé pour cet album, je ne vois pas pour quelle raison la réciproque pourrait être vraie ; et je ne comprends pas trop pourquoi Goddin parle de "jalousie" dans ce cadre (une jalousie devant le succès d'Astérix, oui, et c'est traité dans le reste de l'ouvrage ; une jalousie en lien avec cet album, je ne comprends pas).
Autre choix de sujet étrange : il y a beaucoup de pages consacrées à la prise de contrôle du journal Tintin dans les années 60, avec Hergé qui souhaite le reprendre en main parce qu'il n'est pas satisfait du contenu. Et une fois tout ça passé, on apprend qu'Hergé démissionne au bout de quelques mois sans savoir ce qu'il a fait ou ce qu'il a changé. Tout ça pour ça ? C'est assez frustrant, même si ça n'enlèvre rien au riche contenu du livre par ailleurs.